N. T. WRIGHT: pour un art qui célèbre notre espérance

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Dans la troisième partie de son livre sur l’eschatologie, Surpris par l’espérance, N. T. Wright développe les implications pratiques qui devraient découler de notre eschatologie. C’est dans cette partie que nous pouvons lire, à côté de la justice ou de l’évangélisation, une partie sur l’art.

Wright n’est pas le premier (ni le dernier) à inscrire sa vision de l’art dans une perspective eschatologique. Calvin Seerveld parle lui aussi d’un « art rédempteur », qui dévoile le monde avec son halo de gloire et de souffrance. Makoto Fujimura, très influencé par la pensée de Wright, parle également d’un art qui doit annoncer le Nouveau. Notamment la place importante qu’il laisse à la notion de réconciliation fait le lien entre beauté et justice.

Dans l’extrait qui suit, Wright commence par affirmer que la beauté est importante, et que nous devons retrouver une conscience esthétique. Il se réjouit que les chrétiens peuvent être de bons artistes et replace la vocation d’artiste dans notre vocation d’intendants de la création. Il précise cette vocation artistique: « Notre tâche consiste à décrire le monde, non pas simplement comme il devrait être, ni même comme il est, mais comme, par la seule grâce de Dieu, il sera un jour. »

C’est cette dimension eschatologique qui donne à l’art sa visée missionnelle: « Lorsque l’art parvient à tenir compte à la fois des blessures du monde et de la promesse de la résurrection, et apprend à exprimer et à réagir simultanément à ces deux réalités, le chemin est tracé vers une nouvelle vision, une nouvelle mission. »


Une thématique qui peut sembler très différente émerge à présent en tant que composante de la tâche de la mission dans le contexte d’une théologie de la nouvelle création. Je suis convaincu qu’une prise au sérieux de la création et de la nouvelle création conduit à une compréhension et à une redynamisation de la conscience esthétique et peut-être même de la créativité parmi les chrétiens aujourd’hui. La beauté importe, j’ose le dire, presque autant que la spiritualité et la justice (sur ce point, voir la première partie de mon livre: Chrétien, tout simplement, pp. 13-80). Bien sûr, si vous devez choisir entre un esclavage de toute beauté ou un exode empreint de laideur, c’est bien vers l’exode que votre choix va se porter. Mais comme l’a fait remarquer William Temple dans un contexte différent (bien que lié): heureusement, nous ne sommes pas obligés de choisir l’un ou l’autre.

Romains 8, avec sa riche théologie de la nouvelle création, nous propose une manière d’apprécier la beauté naturelle. Paul décrit la création comme gémissant dans les douleurs d’un enfantement, en attendant de donner naissance au monde nouveau de Dieu. J’ai déjà mentionné dans ce livre que la beauté du monde actuel est comparable à la beauté d’un calice, un objet déjà beau en lui-même, mais dont la beauté peut être accentuée lorsque nous savons à quel contenu il est destiné. Elle peut aussi être comparée à un violon dont la beauté est valorisée lorsque nous imaginons la musique que l’instrument peut produire. Une bague de fiançailles est un autre exemple éloquent, car le bijou peut impressionner l’œil par son aspect, mais sa promesse implicite peut avoir un effet encore plus réjouissant sur le cœur. À présent, je souhaite développer cette idée en l’appliquant à la nouvelle créativité à laquelle les chrétiens sont appelés, me semble-t-il, alors que nous nous trouvons à la frontière entre la création et la nouvelle création.

Je pense que nous sommes en train de nous éloigner de l’ancienne division selon laquelle il était convenu que les bons chrétiens ne pouvaient pas être des artistes et que les bons artistes ne pouvaient pas être des chrétiens. Nous pouvons à présent citer, grâce à Dieu, de merveilleux artistes chrétiens: peintres, compositeurs, sculpteurs et poètes, qui nous montrent la voie à suivre. Nous avons même quelques théoriciens éloquents, comme Jeremy Begbie et son projet de théologie par les arts (Theology through the Arts), qui a beaucoup contribué à la réflexion dans ce domaine. J’aimerais esquisser le cadre dans lequel l’entreprise artistique peut trouver sa place, dans lequel ce que nous appelons de manière imprécise « la culture humaine » peut s’intégrer dans la mission chrétienne au sein du projet de création et de nouvelle création.

Je suis convaincu que c’est en tant que porteurs de l’image divine que nous devenons nous-mêmes créateurs, ou en tout cas, procréateurs. La capacité extraordinaire dont nous disposons de susciter la vie nouvelle, dont le comble est bien sûr l’enfantement, mais que nous observons également dans des millions d’autres manifestations, est centrale au mandat accordé aux humains dans les deux premiers chapitres de la Genèse. Pour trouver du sens dans la beauté du monde, et la célébrer, nous produisons des œuvres qui sont elles mêmes dotées de beauté, et cela participe à notre vocation d’intendants de la création, comme lorsque Adam donnait des noms aux animaux. L’art authentique est en lui-même une réponse à la beauté de la création, qui, elle, pointe vers la beauté de Dieu.

Mais nous ne vivons pas dans le jardin d’Éden, et toute expression artistique qui tente d’y vivre devient rapidement flasque et triviale. (L’Église ne détient pas le monopole du kitsch ou du sentimentalisme, mais si c’est ça que vous cherchez, l’Église serait certainement le lieu où commencer.) Nous vivons dans un monde qui a chuté, et toute la création comme si elle était elle-même de nature divine, bute toujours contre le problème du mal. Arrivé à ce stade, l’art, comme la philosophie et la politique, fait souvent volte-face et réagit de manière déterminée à la laideur avec une surenchère de laideur. (Ceci reflète l’évolution supposée de la tragédie grecque entre Sophocle, qui décrivait le monde comme il devrait être, et Euripide, qui décrivait le monde comme il est. Cf. Ce qui est, ce qui devrait être, ce qui devrait ne pas être) Nous avons observé une éruption de cette approche dans le monde artistique britannique contemporain, avec une forme d’expression brutale qui, sous couvert de réalisme, exprime simplement la futilité et l’ennui. Nous nous retrouvons à nouveau sur la ligne de démarcation entre ceux qui, d’une part, refusent de reconnaître le mal, et ceux qui, d’autre part, ne perçoivent rien d’autre.

Cette situation présente une merveilleuse occasion aux chrétiens qui, ayant acquis une vision intégrée du monde et disposant d’une théologie de la création et de la nouvelle création, peuvent se frayer un chemin, peut-être même jouer un rôle moteur, pour dépasser cette impasse stérile. En Romains 8, nous lisons que la création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement en attendant la rédemption. La création est bonne, mais elle n’est pas Dieu. Elle est belle, mais sa beauté est encore transitoire. Elle souffre, mais sa souffrance est accueillie dans le cœur même de Dieu et transformée en une douleur de l’enfantement. La beauté de la création, à laquelle l’art correspond comme une réponse et qu’il tente d’exprimer, d’imiter et d’accentuer, n’est pas simplement une beauté intrinsèque, mais elle tire ses caractéristiques de ce qui lui a été promis: nous voilà revenus au calice, au violon, à la bague de fiançailles. Notre tâche consiste à décrire le monde, non pas simplement comme il devrait être, ni même comme il est, mais comme -par la seule grâce de Dieu!- il sera un jour. Et nous ne devons jamais oublier que lorsque Jésus est ressuscité d’entre les morts, comme paradigme, premier exemple et puissance génératrice de toute la nouvelle création, les marques des clous n’étaient pas seulement visibles dans ses mains et ses pieds. Elles étaient le moyen de son identification. Lorsque l’art parvient à tenir compte à la fois des blessures du monde et de la promesse de la résurrection, et apprend à exprimer et à réagir simultanément à ces deux réalités, le chemin est tracé vers une nouvelle vision, une nouvelle mission.

Nous trouvons une parodie de ces considérations dans la conviction passionnée de nombreux artistes et écrivains de la génération précédente qui pensaient que l’art ne peut être authentique que s’il est politiquement engagé. Au moins les marxistes convaincus de cette idée avaient compris que ni le sentimentalisme ni le brutalisme ne faisaient l’affaire, mais seule était suffisante une eschatologie en cours de réalisation. Si les artistes chrétiens parviennent à saisir la vérité dont cette vision marxiste est une parodie, ils trouveront peut-être le moyen d’avancer vers une célébration de la beauté sans fourvoiement dans le panthéisme d’une part ou dans le cynisme d’autre part. Cela nécessitera une mise en œuvre radicale de l’imagination, une imagination alimentée par la réflexion et la prière au pied de la croix et devant le tombeau vide, une imagination qui saura discerner les mystères du jugement divin sur le mal et la réaffirmation par Dieu, au moyen de la résurrection, de sa création dans toute sa beauté. Au mieux de sa forme, l’art attire notre attention sur la réalité actuelle du monde tout en désignant sa réalité future, lorsque la terre sera remplie de la connaissance de Dieu comme les eaux recouvrent le fond des mers. Cette espérance est toujours étonnante, et ce seront certainement les artistes qui excelleront à transmettre autant l’espérance que l’étonnement.


Extrait de Surpris par l’espérance, pp. 325-328.
Image de couverture: série Promised Land de l’artiste Noémie Pons.

Matthieu Giralt

Matthieu Giralt est le directeur de ToutPourSaGloire.com. Il est pasteur dans l’Est de la France. Il est titulaire d’un DNSEP de l’École des Beaux-Arts de Bordeaux, et d’un Master de recherche de la Faculté Jean Calvin. Il est le mari d’Alexandra, ils ont deux fils.

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