L'amour de l'argent est-il vraiment la racine de tous les maux?

HerméneutiqueDoctrine du péchéArgent et budget

Cet article aborde la question suivante: l’amour de l'argent est-il la "racine de tous les maux" ou bien seulement la "racine de toutes sortes de maux" (1Tm 6.10)? "Tous les maux" est la traduction la plus répandue en français de l'original en grec (pantōn tōn kakōn), tandis que "toutes sortes de maux" est la traduction la plus répandue en anglais. John Piper, pasteur, auteur et théologien américain, s’interroge sur la validité de cette traduction.

En analysant la manière dont les traducteurs de la Bible en anglais ont traduit cette expression, on observe qu’en général, les versions les plus anciennes ont gardé la traduction littérale « L’amour de l’argent est la racine de tous les maux » (ou tout mal), alors que les plus récentes traduisent par: « L’amour de l’argent est la racine de toutes sortes de maux. »

Une traduction anglaise fait exception (NET Bible, 2003): elle traduit « Car l’amour de l’argent est la racine de tous les maux. » en ajoutant cette note:

Plusieurs traductions traduisent « toutes sortes de maux ». […] Mais aucun usage parallèle ne permet de traduire cette expression par « toutes sortes de ». Le sens normal est « tous les maux ».

[NDT] Dans les traductions françaises, cette tendance est moins répandue. La plupart des traductions (récentes comme anciennes) traduisent littéralement avec « tous les maux » (ou « tous les malheurs », NFC et PDV). Seules Semeur (1992), BFC (1982, jusqu’en 2019) et Darby (1859) traduisent « toutes sortes de maux ».

Pourquoi les versions modernes en sont-elles venues à cette paraphrase?

Qu’est-ce qui a changé dans les 60 dernières années pour qu’on soit ainsi tenté de paraphraser « racine de tous les maux » par « racine de toutes sortes de maux »?

Une chose, nous le savons, n’a pas changé, c’est le sens du texte. En grec, les mots utilisés dans 1 Timothée 6.10 véhiculaient la même pensée de Paul, que cela soit au temps de Luther ou bien de nos jours.

Une chose encore n’a pas changé: le fait que l’amour de l’argent soit la racine de tous les maux est tout aussi problématique aujourd’hui qu’il y a 500 ans. Si ce passage pose un problème aux traducteurs modernes, il en posait également un aux traducteurs d’il y a 500 ans. Tous les traducteurs ont eu la même pensée que celle exprimée dans la note de la NET Bible. Dire que l’amour de l’argent est la racine de tous les maux n’est pas tout à fait conforme à la réalité (puisque certains maux semblent n’avoir aucun lien avec l’amour de l’argent).

En revanche, ce qui a changé au cours des 60 dernières années, c’est que les traducteurs se sont sentis plus libres de s’écarter d’une équivalence formelle claire et intelligible pour proposer des paraphrases explicatives. Linguistiquement ou grammaticalement, il n’y a rien d’obscur dans la traduction littérale: « L’amour de l’argent est la racine de tous les maux ».

Ce qui est obscur, par contre, c’est comment l’amour de l’argent peut effectivement être la racine de tous les maux. Tous les traducteurs se sont interrogés à ce sujet et pas seulement ceux d’aujourd’hui. Pourquoi, alors, les plus anciens n’ont-ils pas traduit par « toutes sortes de maux »? Mon hypothèse est qu’ils pensaient comme cela:

Je ne suis peut-être pas en mesure de voir comment l’amour de l’argent est la racine de tous les maux, mais je ne vais pas laisser mon incapacité décider si l’amour de l’argent est la racine de tous les maux ou non. Je vais laisser le texte comme Paul l’a écrit. Peut-être d’autres que moi comprendront-ils plus en profondeur ce que Paul a voulu dire.

Cela me semble être l’attitude adéquate quand on souhaite traduire un texte à qui l’on attribue une inspiration divine et une autorité absolue. À l’inverse, le présupposé d’aujourd’hui ressemble plutôt à:

Si on ne parvient pas à voir comment Paul pouvait dire: « L’amour de l’argent est la racine de tous les maux », alors nous pouvons, avec sagesse, changer la formulation pour suggérer un sens plus plausible.

Préserver l’ambiguïté de l’original

Pour essayer d’anticiper une critique qu’on pourrait me faire, je sais que l’équivalence formelle n’est pas toujours possible. Parfois, il n’y a aucune construction en français qui corresponde au grec ou à l’hébreu.

Mais dans le cas de 1 Timothée 6.10, la structure en grec est très simple (pantōn tōn kakōn); son sens est exactement le même qu’en français (« de tous les maux »). Il n’y a pas d’indice caché dans la phrase (que ce soit en grec ou en français) qui rendrait les choses plus claires ou plus obscures. Cela veut dire qu’on n’a rien perdu en clarté en traduisant simplement par l’équivalent: « de tous les maux. » Cette traduction n’est pas plus obscure, car l’ambiguïté du texte originel est préservée.

Conserver cette équivalence formelle nous apporte beaucoup. L’avantage est le suivant: le lecteur lambda, ou le pasteur dont le grec a pris la poussière, peut réfléchir en profondeur sur ce que Paul dit quand il décrit l’amour de l’argent comme racine de tous les maux. On ne prive pas le lecteur de la découverte exégétique qu’il pourrait faire simplement parce que les traducteurs ont décidé que cette pensée n’était pas assez vraisemblable.

À mon avis, ce texte est un exemple typique devant lequel les traducteurs devraient rester humbles. Admettre leur incapacité à discerner un sens plausible aux mots de Paul (« racine de tous les maux ») ne veut pas dire que ce sens plausible n’existe pas. Si « toutes sortes de maux » est la meilleure interprétation de ces mots difficiles, alors laissons le lecteur le découvrir et en décider.

Comment l’amour de l’argent peut-il être la racine de tous les maux?

Quand Paul a écrit ces mots, il était probablement conscient de leur difficulté. Il les a laissés tels quels, car il voyait un sens dans lequel l’amour de l’argent était effectivement la racine de tous les maux. Tous les maux! Il voulait que Timothée (et nous) puisse réfléchir assez profondément pour le discerner.

Je vais expliquer brièvement comment je comprends cette idée que l’amour de l’argent est la racine de tous les maux. Mais même si vous n’êtes pas convaincus par ma proposition, ce que j’ai dit à propos de la traduction demeure: quelqu’un d’autre pourrait trouver la clé, si nous ne l’avons pas encore trouvée.

Voici le contexte de 1 Timothée 6.6-10:

6C’est, en effet, une grande source de gain que la piété avec le contentement; 7car nous n’avons rien apporté dans le monde, et il est évident que nous n’en pouvons rien emporter; 8si donc nous avons la nourriture et le vêtement, cela nous suffira. 9Mais ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans le piège, et dans beaucoup de désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. 10Car l’amour de l’argent est la racine de tous les maux; et quelques-uns, en étant possédés, se sont égarés loin de la foi, et se sont jetés eux-mêmes dans bien des tourments.

1 Timothé 6.6-10, ver. Colombe

Notez que la première partie du verset 10 (« Car l’amour de l’argent est la racine de tous les maux ») fonctionne comme un motif, ou une cause, pour ce qui précède (le verset 9), mais également pour ce qui suit (le reste du verset 10). Prenons-les dans l’ordre.

Comment le verset 10a se fonde sur le verset 9

Le verset 9 nous dit que ceux qui veulent devenir riches tombent dans « beaucoup de désirs insensés et pernicieux ». Remarquons que le désir de devenir riche ne produit pas qu’un seul désir, mais beaucoup. Ensuite, Paul précise que le désir de devenir riche produit cet effet « parce que l’amour l’argent est la racine de tous les maux. » Ce « désir de s’enrichir » du verset 9 renvoie à « l’amour de l’argent » du verset 10a. Et le « beaucoup de désirs » du verset 9 correspond à « tous les maux » du verset 10a.

Paul relie ces « désirs nombreux » au fait que l’amour de l’argent soit la racine de « tous les maux ». Pourquoi le désir de devenir riche ne produit-il pas un seul désir envers l’argent mais « beaucoup de désirs »? Parce l’amour de l’argent est la racine de bien plus de choses que celles auxquelles on penserait dans un premier temps.

L’amour de l’argent est la racine de tous les maux que les hommes commettent. Aspirer à la richesse entraine une foule de désirs et c’est une autre manière de dire que l’amour de l’argent est la cause de « tous les maux ».

Comment l’amour de l’argent peut-il produire tous les maux? Voici une piste: c’est parce que l’argent n’a pas de valeur en lui-même (ce n’est que du papier ou du métal). On le désire uniquement parce qu’il peut être échangé avec la « multitude de désirs » que nous avons. Mais concernant Dieu ou les choses spirituelles, on ne peut les échanger contre de l’argent. Par conséquent, l’amour de l’argent, dans la pensée de Paul, renvoie à tout ce que l’argent peut procurer, mis à part Dieu. Voilà pourquoi ces multiples désirs « plongent les hommes dans la ruine et la perdition » (verset 9).

Les bons désirs, quant à eux, ne détruisent pas. Seuls les désirs pour ce qui n’est pas Dieu détruisent. Tous les maux, sans exception, proviennent de ce désir à la racine – ce désir pour tout ce qui n’est pas Dieu.

C’est l’essence et la racine du péché: ne pas être à la hauteur de la gloire de Dieu (Rm 3.23). Pour le dire autrement, le péché, c’est « échanger Dieu contre sa création » (cf Rm 1.23,25). La racine du péché, c’est préférer certaines choses à Dieu. « Tous les maux » proviennent de cette préférence.

Si je désire quelque chose pour la gloire de Dieu, ce n’est pas un péché. Si je désire quelque chose pour autre chose que la gloire de Dieu, c’est un péché. Ainsi, on peut affirmer que tout péché (« tous les maux ») provient de ce désir, de cet amour de l’argent qui recherche la satisfaction sans Dieu.

Comment le verset 10a explique le reste du verset 10

Regardons à présent ce qui suit, le reste du verset 10: « Car l’amour de l’argent est une racine de tous les maux. » C’est au travers de cet amour de l’argent que « quelques-uns se sont égarés loin de la foi, et se sont jetés eux-mêmes dans bien des tourments ».

Dans le verset 9, on voyait que ce désir produisait beaucoup de désirs insensés et pernicieux et plongeait les hommes dans la ruine et la perdition. De la même façon, dans le verset 10, on voit que l’amour de l’argent conduit les gens à « se jeter dans bien des tourments ». Comment? À travers l’amour de l’argent, certains se sont égarés loin de la foi. L’amour de l’argent accomplit son œuvre de destruction en détournant notre âme de la foi.

La foi, c’est le contentement en Christ que Paul mentionne au verset 6: « C’est une grande source de gain que la piété avec le contentement ». La foi dit: « J’ai appris à être content de l’état où je me trouve » (Ph 4.11). La foi est contente dans toutes les circonstances parce qu’elle a Christ, et Christ supplée à tout ce dont on peut manquer: « Je regarde toutes choses comme une perte, à cause de l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur » (Ph 3.8).

Tous nos progrès spirituels prennent racine dans le repos que nous trouvons en Christ. Sans cette confiance en Christ, nous accomplissons nos œuvres en cherchant à combler nos déficiences et notre manque de foi. Mais les vrais progrès qui honorent le Christ sont ceux qui nous font accomplir nos œuvres pour montrer que Christ nous suffit en tout. C’est pour cela que Paul écrit « Tout ce qui ne relève pas de la foi est péché » (Rm 15.23, NBS).

Cela signifie que « tous les maux » –pour utiliser les mots de 1 Timothée 6.10– proviennent de l’âme qui a été détournée de la foi. Et c’est ce que produit l’amour de l’argent, selon Paul. À travers cet amour de l’argent, « certains se sont égarés loin de la foi ». Or, « sans la foi il est impossible d’être agréable à Dieu » (Hé 11.6). De l’incrédulité ne peut sortir que du mal – tous les maux.

Vous ne pouvez pas aimer Dieu et l’argent

Ainsi, qu’on regarde plus haut ou plus bas dans le texte de 1 Timothée 6, la conclusion est la même: ce n’est pas absurde de décrire l’amour de l’argent comme racine de tous les maux. On n’a pas besoin de traduire cette expression par « toutes sortes de maux ». D’ailleurs, en y réfléchissant, l’expression « toutes sortes » pose probablement autant de questions que « tous les maux ».

La meilleure façon d’illustrer ceci est peut-être de citer Jésus:

Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon [l’argent].

Matthieu 6.24

Jésus utilise le terme « aimer » pour décrire le choix que nous avons: soit aimer Dieu, soit aimer l’argent. À la notion d’amour, il rattache l’idée de servir: « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent. »

Je retiens de cette phrase que si on aime l’argent, on ne peut pas servir Dieu. Si on ne peut pas servir Dieu, alors tout ce que l’on fait est mauvais, car c’est bien là ce qu’est le mal: tout acte qui n’est pas accompli pour servir le Dieu que l’on aime. Par conséquent, l’amour de l’argent est la racine de tous les maux, et pas seulement de certains.

Peut-être n’avez-vous pas été convaincus par le sens que j’essaie de donner à « L’amour de l’argent est la racine de tous les maux ». Dans ce cas, j’espère que vous aurez au moins compris que quelqu’un d’autre, plus éclairé que moi, pourrait aussi y trouver une explication. C’est la raison pour laquelle tous les traducteurs devraient laisser cette possibilité, sans présumer qu’une explication plausible n’existe pas.


* L’approche d’équivalence formelle a tendance à mettre l’accent sur la fidélité aux détails lexicaux et à la structure grammaticale de la langue d’origine (contrairement à l’équivalence dynamique).

John Piper

John Piper est le fondateur du ministère desiringGod.org et président du Bethleem College and Seminary. Pendant plus de 30 ans, il fut le pasteur de l'Église baptiste de Bethleem à Minneapolis. Il est l'auteur de plus de 50 ouvrages dont Au risque d'être heureux. Ses sermons, articles, livres et autres ressources sont disponibles gratuitement sur desiringGod.org (en anglais).

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