Voir Dieu face à face: l’espoir de la vision béatifique

Royaume de Dieu

Qu'est-ce que la vision béatifique? Derrière ce mot qui peut sembler abstrait se cache l'une des plus belles promesses de toute la Bible.

Dans le dernier chapitre de la Bible, ceux qui ont été rachetés par Dieu reçoivent une précieuse promesse: “Ils verront sa face...” (Ap 22.4). Cette vision de Dieu dont la Bible parle est communément appelée la vision béatifique.

Comment comprendre la vision béatifique? Où placer cette promesse en relation avec d’autres promesses que l’Écriture fait concernant notre avenir éternel? C’est le but de cet article d’exposer ce que la Bible enseigne concernant cette vision future de Dieu1.

L'espoir de voir Dieu dans la Bible

À plusieurs reprises dans la Bible, des promesses sont faites d’une vision de Dieu à la fin des temps. C’est l’espoir que David exprime dans le Psaume 17. Dans ce Psaume, David crie à l’Éternel pour obtenir la délivrance, alors qu’il est entouré d’hommes méchants qui le persécutent. Cependant, dans sa détresse, David partage son espérance:

Pour moi, avec justice, je verrai ta face; dès le réveil, je me rassasierai de ton image.

Psaumes 17.15

David parle à Dieu dans ce verset et exprime sa certitude de voir sa face. Quelle surprise! L’espoir de David n’est pas simplement d’être avec Dieu, mais de voir Dieu. Quand aura lieu cette vision de Dieu? Lors du "réveil" que David mentionne. Comme ailleurs dans l’Ancien Testament, ce réveil fait référence à la résurrection finale (cf. Dn 12.2; És 29.19). C’est le "réveil du sommeil de la mort", comme un commentateur l’exprime2. Dans le Psaume 17, nous voyons donc David parler de son espérance eschatologique en termes d’une vision de Dieu.

La même réalité se retrouve dans la bouche de Job. Au sein de sa détresse, alors qu’il est abandonné par tous (Jb 19.13-19) et qu’il a l’impression d’être l’adversaire de Dieu (Jb 19.11-12), Job exprime son espérance:

25Mais je sais que mon rédempteur est vivant, et qu’il se lèvera le dernier sur la terre, 26après que ma peau aura été détruite; moi-même en personne, je contemplerai Dieu. 27C’est lui que moi, je contemplerai, que mes yeux verront, et non quelqu’un d’autre; mon cœur languit au-dedans de moi.

Job 19.25-27

Malgré les difficultés de traduction de ce verset, il est possible d’apprécier la ferme espérance que Job a. D’abord, il faut souligner que Job ne partage pas un désir, mais une conviction. Il sait que son rédempteur est vivant (v.25). Il a l’espoir, la certitude, d’être reconnu comme juste. Ensuite, il faut noter que le moment de cette "justification" sera le même moment que celui où il contemplera Dieu (v.26). Les versets 26 et 27 sont liés au verset 25: il s’agit du même moment et de la même réalité. Enfin, nous pouvons observer que le moment où cette "justification" et cette vision doit avoir lieu n’est pas dans cette vie, mais dans la vie après la mort. Ce que Job espère dans cette vie, c’est la mort, et non pas la justification divine (Jb 3.11; 7.15; 10.21; 30.23). Cependant, même si tout est noir autour de lui, il a un espoir qui va plus loin que la mort: l’espoir de contempler Dieu.

Ces deux passages de l’Ancien Testament révèlent l’espérance individuelle de certains croyants d’une vision de Dieu dans l’éternité. Le Nouveau Testament montre que cette promesse est faite à tous les croyants. C’est ce que nous voyons par exemple dans Matthieu 5.2-12, alors que Jésus parle des promesses de la vie à venir. Parmi ces promesses, nous trouvons l’espoir de voir Dieu:

Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu!

Matthieu 5.8

De la même manière, l’auteur de la lettre aux Hébreux exhorte ses lecteurs de la manière suivante:

Recherchez la paix avec tous, et la sanctification sans laquelle personne ne verra le Seigneur.

Hébreux 12.14

L’enseignement implicite de ce verset est que l’espérance chrétienne peut être décrite en termes de "voir le Seigneur".

C’est ce que nous voyons dans l’Apocalypse, alors que Jean reçoit une description de la ville sainte. Cette ville désigne notre espérance finale, notre habitation éternelle. Il est frappant de voir qu’alors que cette ville est décrite (Ap 21.9-22.5), le point central n’est pas la beauté de la ville, mais la présence de Dieu dans la ville (Ap 21.3; 21.22; 22.3). Cependant, il faut souligner que cette présence de Dieu inclut aussi une vision de Dieu:

Il n’y aura plus d’anathème. Le trône de Dieu et de l’Agneau sera dans la ville. Ses serviteurs le serviront et verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts.

Apocalypse 22.3-4

À la toute fin du récit biblique, lors de la description de notre état final, la promesse de voir la face de Dieu est décrite comme étant accomplie. Les croyants verront Dieu: la promesse a été faite, la promesse sera accomplie.

Parler d’une vision de Dieu dans l’éternité est donc bel et bien attesté dans l’Écriture. Cela fait partie du contenu de l’espérance chrétienne. Cependant, quelle sera cette vision?

Qu’allons-nous voir?

Dès le moment où nous mentionnons une possible vision de Dieu, une tension émerge. Comment peut-on parler de voir Dieu alors que Dieu est invisible (Col 1.15), et qu’il est celui que nul homme n’a vu, ni ne peut voir” (1Tm 6.16)? Il y a deux manières de résoudre cette tension.

D’abord, nous savons que nous verrons Jésus face à face dans l’éternité (1 Pierre 1.8). Nous le verrons dans son corps humain glorifié, et nous le verrons avec nos yeux physiques depuis notre corps humain glorifié. En voyant Jésus, c’est véritablement Dieu que nous voyons (Jn 14.9)3. Il est donc juste de dire que la vision de Dieu que promet la Bible est accomplie, au moins en partie, dans la vision du Fils de Dieu.

Cependant, cette promesse va plus loin que ça. La promesse de voir Dieu concerne, non seulement le Fils, mais aussi le Père (Ps 17.15; Mt 5.8; Hb 12.14; Ap 22.4). Comment donc parler d’une vision de Dieu?

Il ne s’agit bien évidemment pas d’une vision physique. Dieu est esprit: on ne peut pas le voir avec les yeux du corps, que ce soit ici sur terre ou au ciel (Jn 4.24). Plutôt, il me semble que la notion de vision pointe vers deux éléments.

D’abord, la notion de vision a pour but de pointer vers notre communion complète avec Dieu. Puisqu’il ne peut s’agir d’une vision physique, alors le langage de vision a forcément un sens analogique. C’est une image que la Bible utilise pour faire référence à la communion que nous aurons avec Dieu et la joie qui en découlera. Comme Calvin le souligne, "voir" dans l’Écriture fait parfois référence à l’idée de "profiter" de quelque chose. Dans sa prédication sur Matthieu 5.8-10, Calvin s’exprime ainsi:

Car ce mot de voir en l’Écriture se prend pour jouir. Vous ne verrez point la mort, vous ne verrez point le Royaume des cieux: c'est-à-dire, vous ne le posséderez point. Ainsi donc c’est autant comme si notre Seigneur Jésus-Christ disait que Dieu fera notre héritage…4

Voir Dieu, c’est l’avoir pour héritage. C’est trouver en lui son plus grand bien. C’est n’avoir plus aucune barrière dans notre relation avec lui, car de manière évidente l’idée de "voir quelqu’un" évoque la proximité. En disant que nous allons voir Dieu, la Bible utilise donc une image que nous connaissons pour pointer vers ce à quoi notre relation avec Dieu ressemblera: la relation la plus proche possible.

Ensuite, la notion de vision peut se comprendre dans un sens intellectuel5. Nous savons qu’il est possible de voir avec les "yeux du cœur", comme Paul l’exprime en Éphésiens 1.18. Nous n’avons pas des yeux à l’intérieur de nous-mêmes, bien sûr, mais cela veut simplement dire qu’il est possible de "voir intellectuellement". C’est une autre manière de parler de la connaissance de quelque chose. Lorsque la Bible parle d’une vision de Dieu, cela fait donc référence à la connaissance de Dieu, une connaissance qui sera complète.

Dans 1 Corinthiens 13.12, Paul explique que la connaissance que nous avons est partielle aujourd’hui, mais sera complète dans l’éternité, parce que nous "verrons face à face". C’est-à-dire que nous connaîtrons parfaitement tout ce qui est permis à un être humain de connaître. Cette connaissance complète contraste avec la connaissance limitée que nous avons aujourd’hui, parce que nous voyons "comme au travers d’un miroir", c’est-à-dire de manière indirecte.

C’est une réalité similaire que Paul exprime dans 2 Corinthiens 5.6-7, en faisant référence à deux modes par lesquels nous pouvons marcher: nous marchons par la foi ici-bas, non par la vue. En revanche, dans l’éternité, nous marcherons par la vue. Nous verrons face à face, c’est-à-dire que notre connaissance sera parfaite.

Cela ne veut pas dire que nous allons tout comprendre de Dieu. Il restera pour toujours le créateur, et nous resterons pour toujours ses créatures. Cela veut simplement dire que la connaissance que nous pouvons avoir, celle qui est permise et accessible aux créatures, sera parfaite6.

Il est également important de mentionner que cette vision de Dieu, prise sous ces deux aspects, ne pourrait avoir lieu sans l’œuvre rédemptrice de Christ. C’est bien la sainteté qui est requise pour voir le Seigneur, comme nous l’enseigne Hébreux 12.14. Personne ne possède cette sainteté par lui-même, mais seulement celui qui a été déclaré juste par la grâce de Dieu, au travers de l’œuvre de Christ (cf. Rm 3.21-26; 1Co 1.30; Hb 10.14).

Qu’est-ce que tout cela change?

Lorsque nous parlons de la vision béatifique (ou de la vision de Dieu), nous ne parlons donc pas d’autre chose que des bénédictions eschatologiques que nous connaissons déjà. Lorsque la Bible promet aux croyants qu’ils vont voir Dieu, cela implique notamment:

  • Qu’ils seront dans une communion parfaite avec Dieu pour l’éternité, de laquelle découlera une joie éternelle.

  • La perfection de la connaissance, comme nous le voyons dans 1 Corinthiens 13.12 et 2 Corinthiens 5.6-7.

  • La sanctification complète de leur nature, comme nous le montre 1 Jean 3.2:

    [...] mais nous savons que lorsqu’il sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est.7

    La vision de Dieu a un pouvoir transformateur (comme nous le voyons en 2Co 3.18).

La vision de Dieu est donc liée avec d’autres promesses eschatologiques. Bien plus, la vision de Dieu semble produire ces autres bénédictions. Tous ces points pourraient être détaillés, mais la longueur de cet article ne le permet pas. Voici donc une suggestion de résumé de l’enseignement biblique concernant la vision de Dieu, ou vision béatifique:

La vision béatifique est une métaphore que l’Écriture utilise pour parler de notre relation avec Dieu dans la gloire. Nous verrons Dieu, c’est-à-dire que nous serons dans une communion complète avec lui, ayant une appréhension intellectuelle de son essence, qui résultera en notre pleine sanctification, la plénitude de notre connaissance, et notre joie éternelle.

La compréhension de cette vérité théologique est riche et importante.

D’abord, elle nous montre à quel point notre espérance est centrée sur Dieu. Ce que nous espérons par-dessus tout pour l’éternité à venir, c’est la communion avec Dieu lui-même. Bien sûr, la Bible promet beaucoup de choses, comme la fin de toute souffrance, la disparition de la mort et du péché, la joie de retrouver ceux qui nous ont quitté, etc. Ces promesses sont belles, mais elles ne sont pas le centre de la gloire à venir. Le centre, ce sera la présence de Dieu, et la communion que nous aurons avec lui pour toujours. Il n’y a rien de meilleur à désirer, parce que Dieu est notre bien suprême.

Ensuite, cela nous montre à quel point la gloire qui nous attend est désirable. Comme Wilhelmus à Brakel l’écrit, le croyant ici-bas “voit Dieu de loin et ne voit qu’un petit rayon, ne le voyant que pour un moment passager”. Cependant, ce petit rayon passager “produit dans l’âme une joie merveilleuse”8. Si la communion que nous pouvons avoir avec Dieu ici-bas, qui n’est un petit rayon passager, produit déjà une joie qui surpasse tout ce que ce monde peut offrir, qu’en sera-t-il de la pleine communion que nous aurons avec Dieu pour toujours dans la gloire? Assurément, nous ne pouvons imaginer rien de mieux que cette vision. Comme Calvin l’exprime, toujours en commentant sur Matthieu 5.8-10, “où se trouve tout notre bien et notre félicité, sinon en cela?”9

C’est donc là, en Dieu, qu’il faut placer toutes nos aspirations pour la vie qui nous attend. Cette communion que nous attendons n’aura, dans un sens, rien de nouveau: ce sera simplement la continuité de la communion que nous avons déjà ici-bas, grâce à l’œuvre rédemptrice de Christ. Et pourtant, dans un autre sens, cette communion sera toute nouvelle, car la foi laissera la place à la vue. Dieu, notre bien suprême, sera nôtre, et nous serons siens, sans que rien ne vienne atténuer la joie qui découlera de cette communion parfaite.

Assurément, le langage humain est bien trop faible pour décrire l’étendue d’une telle gloire. Comme Turretin l’écrit, la gloire à venir est si envahissante pour notre intelligence “qu'elle s'exprime mieux par le silence et l'émerveillement que par l'éloquence”10.


1. Cet article est une version résumée d’une dissertation bien plus longue écrite dans le cadre de mes études. Beaucoup de questions en lien avec la vision béatifique sont laissées en suspens dans cet article qui se veut plus court et plus accessible. Dans cet article, je m’inscris dans la lignée des théologiens réformés suivants, envers qui je suis endetté:

- Petrus Van Mastricht, Theoretical-Practical Theology, volume 2.
- Francis Turretin, Institutes of Elenctic Theology, volume 3 (même s’il refuse d’attribuer la vision béatifique à l’essence divine, simplement à un reflet de l’essence divine).
- Antonius Walaeus, dans la disputation 52 du Synopsis of a Purer Theology.
- Franciscus Junius, A Treatise on True Theology.

2. Franz Delitzsch, Commentary on the Old Testament in Ten Volumes, Grand Rapids, Michigan, William B. Eerdmans, 1986, vol. 5, Psalms, p.244.
3. Il est vrai que nous verrons Dieu le Fils au travers de sa nature humaine, mais c’est réellement lui que nous verrons, car la vision a pour objet la personne de Jésus, dans laquelle sont unies sa nature divine et sa nature humaine.
4. Jean Calvin, Soixante cinq sermons de Jean Calvin sur l’Harmonie ou Concordance des trois Evangélistes, S. Matthieu, sainct Marc, et S. Luc, Genève, 1562, p.1154. Transcrit du français moyen.
5. Il est possible, et même nécessaire, d’affirmer à la fois le caractère intellectuel de la vision, et le caractère matériel de la nouvelle création, qui comprend la résurrection corporelle des croyants.
6. Les théologiens parlent d’une appréhension de l’essence de Dieu, par opposition à une compréhension de l’essence divine.
7. Je cite ici la Bible Colombe. Est-ce que ce verset fait référence au Père ou au Fils? La S21 remplace le "il" en "Christ", mais cela me semble être un parti pris qui n’a pas d’ancrage textuel. Le texte ne le précise pas et laisse ouvert les deux possibilités: que les traductions françaises fassent de même!
8. Wilhelmus à Brakel, The Christian’s Reasonable Service, edité par Joel R. Beeke, traduit par. B. Elshout, vol. 4, Grand Rapids, Michigan, Reformation Heritage Books, 1995, p.365.
9. Calvin, Soixante cinq sermons de Jean Calvin sur l’Harmonie ou Concordance des trois Evangélistes, st. Matthieu, st.Marc, et st. Luc, p.1154.
10. Francis Turretin, Institutes of Elenctic Theology, volume 3, Phillipsburg, P&R Publ., 1997, p.608.

Benjamin Eggen

Benjamin est marié à Jessica et pasteur-adjoint de l’Église Protestante Évangélique de Bruxelles-Woluwe. Il a fait ses études à l’Institut Biblique de Bruxelles, où il enseigne ponctuellement. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Soif de plus? et Qu’est-ce que tu crois?. Vous pouvez le suivre sur sa chaîne YouTube.

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